Il entra dans la maison sans appréhension, s’attendant à voir une famille unie, avec un père et une mère, un chien ou un chat ou peut-être même les deux, ainsi que trois enfants bien élevés dont la jeune fille. La représentation parfaite de rêve américain en somme. Arrivé à l’intérieur, la surface ressemblait exactement à ce qu’il s’imaginait ; une maison propre et bien tenue, avec une cuisine sur la gauche de l’entrée et un salon, salle à manger sur sa droite. Cependant quelque chose clochait. Il y avait effectivement un chien et une ambiance chaleureuse se dégageait de la demeure mais la télévision analogique et les vieux appareils domestiques donnaient une impression étrange.
Il monta à l’étage par réflexe, en passant par l’escalier situé juste en face de l’entrée, cherchant la chambre de la jeune fille, regardant le long du mur les photos de famille. Certaines montraient les deux enfants bébé, puis à leurs cinq ans respectifs, les anniversaires importants et d’autres les moments familiaux passés tous ensemble jusqu’au début du lycée. Après les photos datant de l’entrée au lycée de leur fille ainée, de la fille cherchée, les instants joyeux de famille avaient disparu ainsi que ses portraits, avant si lumineux de par son sourire, contrairement à ceux de son frère qui persistaient. Les rares photos d’après cette époque étaient ternes et la jeune fille ne souriait plus.
Il arriva à l’étage et ne sachant pas où aller se dirigea machinalement vers la première porte à droite de l’escalier. Par chance, il s’agissait de sa chambre ; la porte indiquait « Garance » écrit dans une calligraphie soignée mais quelque peu infantile. En entrant il s’attendait à voir un bureau rangé avec des cours ordonnés et classés avec un ordinateur portable, un peu vieux mais assez performant pour lui permettre de travailler, et de voir une chambre impeccable. Mais en réalité celle-ci était encombrée d’appareils et le bureau était couvert de papiers. Garance se trouvait assise à celui-ci en train de réviser, branchée à une assistance respiratoire et perfusée de partout, surveillée par une femme ressemblant à une aide à domicile. Sa peau était livide et ses yeux couverts de cernes, elle semblait aussi défoncée que Jack dans ses pires jours. Il avança dans la chambre pour regarder la feuille de soin posée à côté de l’assistante au regard rigide et froid, sur un lit bien plié. Alors qu’il allait y jeter un œil se demandant ce qui se passait Garance murmura « ce ne sont pas tes affaires ! ».
Il se raidit d’un coup à ces mots et se retourna vers elle sans savoir quoi penser. Elle demanda alors un verre d’eau à la femme assise, lui indiquant les appareils branchés qui l’empêchait de se déplacer. Celle-ci posa le magazine qu’elle lisait en soupirant fortement d’exaspération et d’ennui avant de se lever et de sortir. Un silence profond s’installa quelques secondes. Jack fixait Garance, tandis qu’elle regardait le sol en tendant l’oreille. Après s’être assurée que sa surveillante était hors de portée de voix, elle se tourna en direction de son lit et demanda dans le vide qui il était et ce qu’il lui voulait. Jack fut abasourdi de sa réaction. C’était la première personne à le voir. Il ignorait ce qu’il devait faire, et dans la précipitation il déballa d’une traite une armée d’informations, allant de son nom, son âge, sa date de naissance, sa mort, ses dernières semaines à la raison de sa venue.
Après son monologue, la jeune fille ne dit rien, elle se retourna vers son bureau et recommença à réviser, toujours avec un regard vide de tous sentiments. La femme entra à nouveau dans la pièce et posa froidement le verre sur le bureau de la jeune fille, avant de s’assoir et de reprendre son magazine. Il regardait Garance écrire en espérant une réponse de sa part, mais elle ne semblait pas daigner le faire. Impatient il vint se pencher au-dessus d’elle et de son bureau pour essayer de la déranger. Elle le regarda du coin de l’œil et lui indiqua son écran d’un regard. « Je ne peux pas te parler, je ne peux qu’écrire. » Une réponse, un espoir, l’espoir de ne plus être seul.